Savourer les choses
Savez-vous ce que c'est que de savourer les choses? Contempler ces montagnes, la splendeur de la vallée, la lumière sur les collines, les arbres, les méandres de la rivière, savourer toute cela... Mais pouvons-nous le faire? Quand la pensée, quand l'esprit ne fait pas de cette sensation un moyen d'accès au plaisir. Vous pouvez regarder cette montagne, ou le visage d'une femme ou d'un homme, les contours d'une vallée, le mouvement d'un arbre, et y trouver satisfaction. Mais restez-en là, car, si vous cherchez à prolonger les choses, la douleur et le plaisir entreront en jeu. Etes-vous capable de regarder et de vous en tenir là? Ce point mérite toute votre attention, toute votre vigilance...
Cette beauté, on la regarde, et ce regard même suffit à nous réjouir, on ne cherche pas à prolonger la sensation, on n'escompte pas la revivre demain. Ce qui signifie - voyez-en le danger - qu'on peut éprouver un grand plaisir et dire qu'on s'en tient là: mais est-ce vraiment le cas? L'esprit n'est-il pas consciemment ou inconsciemment, occupé à le faire resurgir, à le remâcher, à l'évoquer, à prier pour qu'il renaisse au plus vite? Je vous invite à faire vous-même ces formidables découvertes, plutôt que d'en écouter le récit. Il y a donc une grande différence entre, d'un côté, la délectation, le ravissement, la joie, la félicité et, de l'autre le plaisir.
Krishnamurti : L'Esprit et la Pensée, poche, p. 66-67.